Alimentation : que se passe-t-il du côté de la foodtech et de l’agritech en Asie ?

La croissance de la population mondiale, et en particulier de la classe moyenne dans les pays émergents en Asie, a entraîné une hausse de la demande alimentaire.

Que ce soit pour améliorer la performance des cultures, optimiser l’utilisation des ressources, connecter les agriculteurs au marché, ou pour retracer le parcours des aliments, le digital s’est introduit dans la production alimentaire. Zoom sur quelques acteurs qui transforment l’une des plus anciennes activités humaines.  

Alimentation : une nouvelle donne

La Chine et l’Inde devraient à eux deux contribuer à faire entrer un milliard de personnes supplémentaires dans la classe moyenne d’ici 2030, d’après CaixaBank Research. La classe moyenne émergente en Chine a commencé à reproduire les habitudes de consommation occidentales, faisant du pays le principal consommateur et importateur de viande actuel[1]. Face à cette demande croissante, le secteur agricole doit innover pour produire plus en évitant d’impacter la santé des consommateurs et d’épuiser les ressources. Des scandales à répétition en Chine ont également créé des opportunités de rendre le secteur alimentaire plus transparent.  

 

Par ailleurs, la population mondiale migre vers les zones urbaines (d’après les Nations Unies, les ¾ de la population mondiale vivront dans les villes d’ici 2050[2]). C’est notamment le cas en Asie ; ce phénomène rend la supply chain de plus en plus complexe pour approvisionner ces villes. Mis en exergue avec de la fermeture de certaines frontières durant la crise du Covid-19, l’auto-suffisance est devenue un enjeu stratégique. Ainsi Singapour importe actuellement 90% de son alimentation des pays voisins. La Singapore Food Agency a annoncé son ambition de produire 30% de l’alimentation localement d’ici 2030. Le pays investit ainsi de plus en plus dans l’agriculture urbaine ou des innovations permettant de produire de la viande en laboratoire, par exemple.  

Les fermes urbaines : silence, ça pousse

A Singapour, Edible Garden City bouscule le secteur agro-alimentaire. Cette société a créé une communauté autour de fermes urbaines et créé 200 jardins alimentaires au cours des 7 dernières années, parfois dans des lieux iconiques comme l’hôtel Marina Bay Sands. Elle a permis au concept de restaurants « de la ferme à la table » de fleurir dans le pays. Edible Garden City dispose également de sa propre ferme, qui intègre des technologies modernes, notamment un système de transformation des déchets alimentaires en fertilisants à l’aide d’insectes.12 D’autres fermes urbaines de Singapour, telles que Sky Greens et Sustenir Agriculture, ont développé des technologies de production verticale en environnement contrôlé grâce à la technologie de lumière LED.

Sustenir Agriculture s’appuie sur l’intelligence artificielle pour faire le suivi de la croissance des plantes, mais aussi de l’ensemble du système agricole, des matières premières à l’ERP. La ferme produit à l’heure actuelle environ 11 tonnes de chou kale par an sur moins de 50 mètres carrés, et le double pour des légumes tels que la laitue[3]. Grâce à un environnement fermé contrôlé, les aliments poussent plus vite avec moins d’eau et produisent douze fois moins d’émissions carbones que les produits importés. En s’appuyant sur l’analyse de données, la ferme est capable d’identifier exactement comment améliorer les rendements, des nutriments dans l’eau à l’énergie utilisée pour la lumière.

 

Le système d’éclairage par lumière LED de Sustenir Agriculture. Source : www.straitstimes.com

 

Connecter les agriculteurs à la demande : la technologie est dans le pré

La technologie contribue également à améliorer la productivité des fermiers en zones rurales, et à les connecter avec des clients. En Inde par exemple, plusieurs start-up ont connu une belle croissance au cours des dernières années avec un modèle de livraison « de la ferme à la fourchette ». Elles contribuent à digitaliser et rendre plus efficace la supply chain. Par exemple, Ninjacart, fondée à Bangalore en 2015, a conçu une application qui permet aux restaurateurs et commerçants de commander des produits frais directement auprès des fermiers, éliminant ainsi les intermédiaires. La transaction est réalisée sur la plateforme, et la partie logistique (livraison et entrepôt) est ensuite gérée par Ninjacart qui prend une commission sur chaque transaction. Le service est garanti zéro-papier de A à Z.

Aujourd'hui Ninjacart est capable d’assurer des livraisons depuis la ferme jusqu’au point de livraison en moins de 12 heures avec un taux d’efficacité de 99.88%. Grâce à une cinquantaine d'entrepôts, une flotte de « ninjas » livreurs, et des algorithmes pour prédire la demande, ce sont plus de 1000 tonnes de fruits et légumes qui sont livrées à 60 000 revendeurs dans 7 grandes villes d’Inde au quotidien. Avec un confinement très strict, la plupart des marchés en ville ont dû fermer. Les revendeurs ont dû cesser leurs opérations et les fermiers qui constituent la majorité de la population active en Inde, se sont retrouvés avec des récoltes qu’ils ne pouvaient pas écouler. Ninjacart a alors lancé l’opération « Harvest The Farm » pour passer en direct du fermier au consommateur, permettant aux producteurs de couvrir leurs coûts, et écouler leurs récoltes. Le consommateur bénéficie ainsi de légumes et fruits à bon prix, et Ninjacart prend en charge le coût de la supply chain. La start-up s’est associée aux applications de livraison locales du type Deliveroo pour effectuer la livraison aux consommateurs finaux. 

 

La campagne de livraison de la ferme au consommateur final mise en place par Ninjacart pendant le confinement en Inde

Preuve de son succès, la start-up a levé en 2020 10 millions de dollars en série C financés par Flipkart, le géant du e-commerce indien, et 50 millions de dollars avec Walmart.  

La transparence de la supply chain, ça coule de source

Suite à de nombreux scandales alimentaires, la Chine est devenue pionnière de l’innovation en matière de traçabilité de la supply chain. En 2015, le géant Alibaba lançait ses épiceries HEMA (HippoFresh) qui intègre de nombreuses nouvelles technologies, dont une innovation majeure à l’époque : chaque produit est accompagné d’un QR code qui peut être scanné pour obtenir des informations sur le produit, le fournisseur, le parcours complet du produit, ses conditions de stockage ainsi que des commentaires d’autres consommateurs, recommandations et recettes.

Avec cette technologie, les consommateurs de viande par exemple peuvent connaître exactement quand l’animal est arrivé dans la ferme, quand il a été abattu, d’où il a été transporté, etc. On trouve même la plaque d’immatriculation du camion qui l’a transporté et les certificats de sécurité alimentaire.  

> Retrouvez notre article dédié à la sécurité alimentaire et la Blockchain  

L’application des supermarchés d’Alibaba, Hema, permet de retracer la provenance des produits

Plusieurs start-up planchent également sur la traçabilité des produits en Chine en s’appuyant sur la technologie de la Blockchain. Ainsi, VeChain, spécialiste de la blockchain visant à améliorer la gestion de la supply chain, collabore avec Walmart China[4]. Sam’s Club, la chaîne de magasins réservée aux grossistes et petits commerces appartenant à Walmart, travaille sur un projet pour utiliser la blockchain de VeChain afin de retracer le parcours de 20 catégories de produits de sa marque Member’s Mark. Le packaging inclura un QR code permettant aux clients d’obtenir des informations sur la provenance des produits. VeChain, qui est basée à Singapour, a également d’autres projets en Chine, notamment pour la traçabilité du thé.

 

Source : www.prnewswire.com

L’Asie est à l’avant-garde de la foodtech et de l’agritech pour transformer un secteur qui n’avait pas beaucoup changé depuis des milliers d’années. La crise sanitaire a accéléré encore un peu plus une tendance qui avait commencé à émerger vers une production plus locale et plus efficace, notamment dans les villes, combinant plus de transparence et une meilleure connexion entre les agriculteurs et le marché.

[1] https://www.statista.com/topics/5264/meat-industry-in-china/

[2] https://www.cnbc.com/2018/05/17/two-thirds-of-global-population-will-live-in-cities-by-2050-un-says.html

[3] https://www.temasek.com.sg/en/news-and-views/stories/future/feeding-the-next-billion/keeping-city-kitchens-stocked-through-urban-farming

[4] https://cryptonaute.fr/walmart-china-tourne-vers-vechain-renforcer-suivi-produits/