e-Commerce : la part grandissante de l'éthique

Les temps changent, et il est bientôt loin celui où les entreprises ne faisaient que du business pour du business. Les années 2010 ont commencé à ancrer dans les esprits des consommateurs que les valeurs éthiques d’une entreprise jouent un rôle de plus en plus prépondérant dans leur choix. Et l’e-Commerce n’y échappe pas, bien au contraire.  

Comment définit-on une valeur éthique ?

Pour être éthique, un produit doit répondre à un ensemble de critères environnementaux et sociaux qui sont inhérents au développement durable et à la responsabilité sociale des entreprises. Le commerce éthique implique donc une chaîne de production respectueuse du travail et des méthodes de production : respect des employés et de l’environnement, aussi bien socio-économique que naturel. Il ne s’agit pas d’une valeur marketing de plus après la déferlante de greenwashing des années 2000.

Autres temps autres mœurs : le consommateur a mûri, il n’est plus dupe de ce genre d’approche. Si dans la démarche de l’entreprise le message ne suit pas les actes, la sentence sera immédiate et la réputation mise à mal. Car dorénavant les médias sociaux ont recentré le curseur sur l’influence des consommateurs vis-à-vis des produits et des entreprises. N’oublions pas que les consommateurs sont beaucoup plus volatiles lorsqu’ils font leurs achats sur la toile. Les valeurs éthiques jouent donc un rôle déterminant dans la captation et la fidélisation des e-consommateurs.  

Les consommateurs sont-ils vraiment sensibles à ces valeurs éthiques ?

Oui, car la tendance aujourd’hui n’est plus de consommer plus pour avoir plus, mais de consommer moins pour avoir mieux. Le rapport The future shopper 20191 révèle que le pure player américain Amazon reste l’outil de recherche le plus utilisé pour comparer les prix et les avis, mais il ne fait plus l’unanimité. D’abord d’un point de vue éthique justement mais aussi parce que beaucoup de produits viennent de loin, impliquant des délais de livraison longs et dont la qualité est parfois contestable, ce qui provoque souvent des tensions lorsque le produit doit être retourné. Ainsi les acheteurs en ligne ont tendance à être davantage attirés par des produits locaux ou nationaux, en particulier la génération Z (16-24 ans).

Cette catégorie de consommateurs est d’ailleurs beaucoup plus concernée par les questions d’ordre éthique et environnemental, j’en veux pour preuve le mouvement porté par Greta Thunberg. L’étude nous éclaire sur le fait que « les valeurs des consommateurs influenceront fortement le comportement d’achat et celui des marchands ». 55% des sondés ont en effet déclaré que l’éthique et la morale des marques pèsent dans la décision d’achat, une part qui passe à 58% chez les 35-44 ans. 45% d’entre eux choisissent des marques soucieuses de l’environnement, autrement dit l’éco-responsabilité entre au cœur des préoccupations dans la décision d’achat.

Ce sont donc bien ces consommateurs de plus en plus nombreux à se soucier des valeurs éthiques qui détermineront le virage éthique orienté des entreprises.  

Quels sont et que font ces sites qui caressent la valeur éthique dans le sens du poil ?

Émergence de sites e-Commerce de vêtements dits bio ou éthiques, centrés sur la qualité et la proximité

Bio, car les composants des tissus comme les cotons ou les laines sont issus d’agriculture biologique ou d’élevage raisonné. Qualité, car les tissus sont sélectionnés pour leur durabilité et pour le savoir-faire des artisans qui est transmis de génération en génération. Proximité, car les ateliers sont localisés dans un rayon national ou dans un proche pays (exemple : en Europe pour un achat en France).

Souvent ces sites e-commerce ont un assortiment réduit voire mono-produit (exemple : LePantalon dont le concept est la vente de pantalons uniquement). Ils conjuguent également très souvent des boutiques en centre-ville à l’espace réduit, ce qui ajoute encore à la proximité.  

Une autre approche éthique est celle de la réutilisabilité

Les grandes enseignes de prêt-à-porter, souvent considérées comme à contre-courant de la mode éco-responsable, se lancent dans l’upcycling, soit en incitant leurs clients à ramener de vieux vêtements en échange de bons d’achat (comme H&M), soit en proposant des collections de vêtements fabriqués à partir de matière recyclable (comme Uniqlo). Des sites de mise en relation pour la revente tels que Vinted ont également le vent en poupe, en particulier auprès de la génération Z.

En 10 ans, ces plateformes ont dépassé la fast fashion en part de marché. Les sites de vente de produits reconditionnés naviguent dans un business en plein essor (exemple : Backmarket). C’est un marché mondial estimé à plus de 50 Mds d’euros dont quasiment la moitié concerne les smartphones. En 2017, environ 140 M d’entre eux ont été reconditionnés, testés et vendus dans le monde entier. En France, la même année, ils ont représenté 10% des ventes des téléphones portables. Cet engouement vient du fait que ces joujoux technologiques sont de plus en plus sophistiqués et donc de plus en plus chers, mais sans réellement apporter de touche révolutionnaire à chaque mise sur le marché.

Le consommateur préfère donc payer moins cher et en même temps réduire l’impact écologique lié à la fabrication d’un smartphone neuf. Le reconditionnement vise d’ailleurs aussi les produits informatiques comme les ordinateurs portables ou bien l’électroménager. Il génère également de nouvelles formes d’emplois et relocalise l’industrie dans des zones désertées.  

Qu’en est-il des valeurs éthiques dans l’e-Commerce alimentaire ?

Selon le sociologue Éric Birlouez, les valeurs éthiques dans l’alimentaire reposent sur cinq piliers2 :

  • L’éthique du corps ou comment choisir ses aliments pour qu’ils n’altèrent pas notre santé et contribuent à notre bien-être
  • L’éthique animale ou comment traiter les animaux d’élevage humainement et limiter leur impact sur l’environnement par un élevage raisonné
  • L’éthique de la nature ou comment consommer plus de produits bio et locaux dans une optique de développement durable et en limitant les emballages
  • L’éthique de la solidarité ou comment faire en sorte que les agriculteurs et éleveurs vivent décemment du fruit de leur labeur
  • L’éthique de la transparence ou comment tracer au plus fin la provenance, la composition, la fabrication, les modes de production des produits

Ces valeurs n’ont pas toutes la même résonance en fonction du style de vie des consommateurs, néanmoins elles progressent en même temps que ces derniers choisissent de plus en plus de faire leurs courses alimentaires en ligne. Le bio (chiffre d’affaires en France frôlant les 10 Mds d’euros en 2018) prend de plus en plus de place dans le panier. Internet est devenu le 5ème circuit de distribution bio après la grande distribution, les magasins spécialisés, la vente directe et les artisans commerçants.

Les grands acteurs du retail s’y sont également mis : Amazon a racheté la chaîne de magasins bio Whole Food en 2017, et Greenwez, premier site de vente de produits bio en France, a été acquis par Carrefour en 2016. Mais il n’y a pas que les grandes enseignes ; le nombre de sites dédiés au commerce bio et équitable a explosé ces dernières années. Des producteurs vendant en ligne soit via leur propre site soit en passant par des places de marché spécialisées (comme Pourdebon.com) permettent aux consommateurs d’avoir accès à des produits répondant aux cinq piliers évoqués.  

L’emballage et la livraison ne sont-ils pas générateurs d’une forte empreinte carbone ?

Après avoir consommé en ligne en suivant les règles éthiques, le consommateur risque bien souvent de tout compromettre à cause de l’emballage et de la livraison. En effet, le boom de l’e-Commerce a généré un boom des livraisons et par extension, de l’empreinte carbone liée à l’emballage et au mode de transport :

  • 505M de colis ont été recensés en France en 2017 selon la Fevad3, et 32% des déchets d’emballage plastique terminent leur course dans la nature.
  • On estime qu’à Paris, un véhicule sur cinq transporte des colis à livrer. Le transport des marchandises représenterait 25% des émissions de CO2 en ville.

55% des Français se disent préoccupés par le sujet des emballages plastiques4, et une partie d’entre eux sont même prêts à payer un peu plus pour des contenants écologiques. Pour se démarquer de leurs concurrents, les sites e-Commerce prennent le cap des emballages éco-responsables. Par exemple, Zalando vient de s’engager à remplacer complètement ses matériaux d’emballage par des matières respectueuses de l’environnement et 100 % recyclées d’ici fin 2020. Les solutions sont multiples : emballages réalisés à base de papier ou de carton, ces derniers étant recyclés à 85% en Europe5, soit même à partir d’emballages recyclés ; emballages optimisés pour être au plus près des dimensions du produit ; emballages intelligents et réutilisables. La start-up nantaise Living Packets a mis au point ce type d’emballage appelé The box. Cdiscount l’a testée auprès d’un panel de clients bordelais en condition réelle, ainsi qu’Orange et Chronopost.

Dans la même optique, la société finlandaise Repack propose un emballage réutilisable 20 fois sous forme de consigne par renvoi de ce dernier par la poste ; en échange le client reçoit un bon d’achat chez un partenaire. Entre 2017 et 2018, 50 000 de ces emballages ont été employés par des boutiques en lignes dans plus de 10 pays européens. Le marketing très agressif sur les livraisons rapides en moins de 24h au domicile donne la sensation que l’acheteur veut son produit le plus vite possible, quels que soient les moyens employés.

Pour autant, les Français sont 73 % à se déclarer prêts à attendre leur commande plus longtemps si elle leur parvient grâce à un mode de livraison écologique6. Pour atténuer cette empreinte carbone, les sites mettent davantage en avant des modes de livraison éco-responsables, ou une livraison dans un point relais qui limite les allers-retours inutiles en cas d’absence du domicile au moment de la livraison. Des start-up se lancent dans ces modes de livraisons propres ; elles concernent les derniers kilomètres et se font grâce à des véhicules 100% électriques, qu’ils soient vélo, vélo-cargo ou utilitaires.

Apparaissent également des sites offrant aux consommateurs la possibilité de compenser les émissions de gaz à effet de serre (GES) produits pour l’acheminement de leurs commandes en reversant une somme à des projets labellisés éco-responsables. C’est le cas de la marketplace américaine Etsy qui a décidé en 2019 d’acheter des crédits compensatoires de carbone pour gérer l'impact environnemental des vendeurs qui expédient des articles présentés sur son site web. Ce type d’indicateur présentant les impacts carbones en fonction du mode livraison peut avoir une influence réelle chez les e-consommateurs qui seront peut-être plus enclins à attendre ou payer un faible montant si cela leur permet de gonfler leur quota « éthique ».

Nous le voyons bien, l’éthique est un vrai sujet, et donc un vrai levier dans nos modes de consommation des prochaines années. Nous n’en sommes qu’aux prémisses, mais la conscience collective des consommateurs vis-à-vis de l’impact social et environnemental de leurs actes d’achat facilités par l’e-commerce ne fait que progresser. De fait, les entreprises prennent aussi conscience, en tout cas de plus en plus les nouvelles générations qui un jour dirigeront ces entreprises, qu’elles doivent être portées par ces valeurs, sans quoi elles perdront la confiance d’une partie de leurs consommateurs.

1https://www.offremedia.com/les-cles-du-parcours-dachat-etudiees-par-wunderman-thompson-commerce
2https://www.maddyness.com/2020/02/27/ethique-alimentaire-bien-manger/
3https://www.fevad.com/les-chiffres-un-e-commerce-plus-vert/
4 https://www.lefigaro.fr/conso/economie-circulaire-les-francais-peuvent-mieux-faire-20191009
5https://www.dssmith.com/contentassets/f7637346e1344a78b475d230c7d9cc13/papargus_dsspf_octobre_2019_ds-smith.pdf
6https://www.generixgroup.com/fr/blog/francais-livraison-ecologique