L’histoire du luxe face à la Covid-19 (Partie I) : le digital, facteur clé de survie

Si l’on vous dit « boutiques de luxe », à quoi pensez-vous ? A des assistants personnels à votre service ? Une coupe de champagne vous attendant à la sortie de la cabine d’essayage ? Des produits dont le simple toucher, contact ou le simple parfum vous donne instantanément l’impression d’acheter quelque chose de grande qualité ?

Maintenant, imaginez à quel point la pandémie de Covid-19 a décimé le secteur. Penchons-nous sur certaines grandes évolutions du luxe pendant la pandémie et analyse en quoi le digital est un facteur clé de la survie et de la croissance des acteurs. 

Dans de nombreux pans du secteur du luxe, la crise sanitaire a mis un coup d’arrêt à la demande, notamment celle des acheteurs chinois, ceux-là même qui portaient en grande partie la croissance ces dernières années. Selon Bain & Company, les ressortissants chinois représentaient 90 % de la croissance mondiale du luxe en 2019. Le virus a stoppé net les flots de riches touristes chinois vers des pays tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, tout en ralentissant la consommation en Chine. 

Tandis que la parfumerie a été touchée de plein fouet par les mesures de distanciation physique, le télétravail a pour sa part fait baisser les besoins d’acheter des foulards, des costumes ou des sacs à main. De nombreuses boutiques ont été contraintes de fermer leurs portes par intermittence tout au long de l’année, se voyant dans l’impossibilité de « dérouler le tapis rouge » à leurs clients et de leur offrir un accueil personnalisé en magasin. Toujours selon Bain & Company, une chute de 35 % des ventes dans le secteur du luxe était attendue en 2020. S’il y a eu une reprise enregistrée à la fin de l’été, les récents pics de contaminations recensés un peu partout en Europe ont une nouvelle fois gravement affecté les affaires.

Pour autant, de nombreuses marques ont réagi rapidement et efficacement dès le début de la pandémie afin de pouvoir rester opérationnelles. Elles étaient donc mieux préparées pour affronter la deuxième vague de l’épidémie et tous les bouleversements à venir. Innover, explorer d’autres segments de marché, investir dans le digital et l’omnicanal, trouver de nouveaux moyens d’amener l’expérience du luxe jusque chez les clients : autant de démarches qui ont toutes été essentielles.   

Investir dès maintenant dans le digital 

À peine quelques semaines après le début du premier confinement au Royaume-Uni en avril, le grand fabricant de vélos britannique Brompton annonçait des changements profonds dans sa stratégie commerciale. Il s’est tout d’abord concentré sur la livraison à domicile, offrant à ses clients la possibilité d’acheter des modèles en ligne et de se les faire livrer directement devant leur porte. Différentes solutions de paiement, parmi lesquelles l’option de paiement après livraison de Klarna, ont également été mises en place. Brompton a en outre autorisé ses revendeurs agréés à proposer eux-aussi le même service à leurs propres clients.

Jusque-là, les clients de Brompton avaient toujours acheté leurs vélos dans les magasins physiques de la marque, où ils pouvaient vivre toute « l’expérience Brompton ». Ils pouvaient toucher le produit, l’essayer et bénéficier d’une démonstration par un technicien. Compte tenu des prix élevés pratiqués, nombreux sont les acheteurs potentiels qui voulaient voir ce qu’ils achetaient et s’assurer qu’ils prenaient le modèle adapté à leurs besoins. Mais face à la pandémie, l’entreprise a fait un choix décisif en misant sur l’accélération du digital. Après un recul de 30 % de la production pour cause de fermeture de certains fournisseurs, les ventes ont vite explosé, avec un trafic web en hausse de 62 % et des ventes en ligne multipliées par cinq.

Il est probable que les consommateurs retrouveront le chemin des magasins physiques à long terme, mais les habitudes d’achat digitales qui se sont dessinées pendant la pandémie ont toutes les chances de perdurer.

Dans une interview accordée au Financial Times en juin, Philippe Blondiaux, directeur financier de Chanel, a dit tabler sur une baisse du chiffre d’affaires et des bénéfices pour les 18 à 24 prochains mois en raison de la pandémie. Selon lui, l’entreprise ne compte cependant rien changer à sa stratégie de ne pas vendre ses produits en ligne. La position de Chanel en la matière est très largement minoritaire. De nombreuses marques de luxe ont en effet revu leurs stratégies ou investi massivement dans leurs opérations digitales, et bien souvent, la mise en œuvre des plans de développement numérique s’est accélérée. Le groupe Kering a récemment évoqué des signes de reprise de l’entreprise grâce à la vente en ligne. Au cours du deuxième trimestre, les ventes de e-commerce se sont envolées de 72 %. Le groupe entend d’ailleurs améliorer ses capacités de vente en ligne et de livraison, et dépenser 7 % de son chiffre d’affaires dans le perfectionnement de ces activités.

Par ailleurs, Alibaba serait actuellement en négociation pour investir 255 millions d’euros dans la plateforme dédiée à la mode luxe Farfetch afin d’étendre sa présence sur le marché du luxe. Ces six derniers mois, la valeur de l’action Farfetch a doublé depuis l’annonce de l’éventuelle transaction, ce qui constituerait pour l’entreprise le troisième plus grand investissement d’un acteur chinois du commerce. Son chiffre d’affaires a augmenté de 74 % pendant le confinement au deuxième trimestre.

Si faire passer votre environnement digital à la vitesse supérieure peut sembler un gouffre financier, ces dépenses seront résolument de l’argent bien investi à long terme. N’hésitez pas à adopter une approche flexible en nouant des partenariats avec des distributeurs, comme Brompton et son réseau de revendeurs agréés : c’est un vecteur de popularité qui permet de gagner de nouveaux clients et ouvre la voie à d’importants flux de ventes.  

    L’expérience du luxe à domicile  

    Tandis que de nombreuses chaînes de restaurants se sont tournées vers la livraison à domicile ou la vente à emporter pour survivre au confinement, les choses se sont révélées plus compliquées pour les restaurants gastronomiques. Comment recréer l’ambiance d’un dîner dans un établissement gastronomique ?  Comment reproduire le service que le client est en droit d’attendre ? Est-il réellement possible de confectionner et de livrer à domicile des plats de la même qualité que ceux servis à la table des meilleurs restaurants ?

    En juillet, la chaîne de steak houses premium Hawksmoor a fait preuve d’innovation avec sa solution Hawksmoor at Home. Les clients peuvent commander en ligne des coffrets repas livrés chez eux, à cuisiner eux-mêmes. Par exemple, le coffret The Fillet Box contient les plats les plus emblématiques du chef Matt Brown. Pour accompagner le repas, le sommelier du groupe, Liam Davy, a sélectionné un vin raffiné, des bières et des cocktails (comme le Negroni), également inclus dans le coffret. Les mets sont certes délicieux, mais pour apporter l’expérience du restaurant jusque dans votre salle à manger et la personnaliser, l’enseigne mise sur les détails et les petites attentions.

    Une playlist Spotify permet par exemple aux convives d’écouter une sélection de morceaux triés sur le volet pendant le repas, tandis que des fiches recettes et des tutoriels montrant le chef à l'œuvre garantissent de ne commettre aucun faux pas lors de la préparation des plats. Les contenants sont livrés enveloppés dans une laine durable spéciale et les coffrets doivent être réservés avant le lundi midi pour une livraison le jeudi ou le vendredi. Afin de recréer l’engouement suscité par le restaurant et d’entretenir l’effet d’exclusivité, la disponibilité des coffrets est limitée.

    Les marques de luxe feraient bien de s’inspirer de démarches innovantes comme celle d’Hawksmoor. Personne ne sait exactement combien de temps encore la pandémie pèsera sur l’activité économique. Il est donc primordial d’adopter une approche flexible qui permette à votre entreprise de basculer sur des stratégies opérationnelles alternatives en cas de besoin, et plus particulièrement sur des solutions digitales. De même, il est tout aussi fondamental de reproduire l’expérience du luxe pour le client tout au long de son parcours. C’est précisément par des attentions uniques et personnelles que vous vous démarquerez et fidéliserez le client à votre marque sur le long terme. 

    Quelques pistes de réflexion?:  

    • Éditions limitées ou ventes éphémères : intégrez un facteur d’exclusivité dans vos opérations en ligne de façon à donner à vos clients la sensation de faire une bonne affaire, et stimulez le sentiment d’attente et d’excitation. 
    • Emballage : comment faire pour que votre emballage ou mode de livraison se démarque de ce qui est proposé habituellement par Amazon ? 
    • Extras : que pouvez-vous faire pour vous démarquer des enseignes non-acteurs du luxe ? Les petites attentions contribuent grandement à susciter chez les clients une expérience unique qui laisse une impression durable et favorise le bouche-à-oreille. 

     

    Penser à la planète 

    Des millions de personnes ont perdu leur emploi. Pour bon nombre d’entre elles, la pandémie aura un impact profond et durable sur ce qui compte réellement pour elles. Avec neuf mois de télétravail, de nombreux consommateurs ont renoncé à leurs achats de montres, de sacs à main et des vêtements de luxe. Parallèlement, construire le « monde d’après » est devenu le nouveau credo des gouvernants partout dans le monde. Les enseignements durables de la pandémie viennent s’ajouter aux problématiques environnementales.

    Les marques de luxe font souvent les frais du mécontentement des consommateurs sur les questions environnementales. Étant donné que la consommation passe au second plan des priorités de certains acheteurs, il est indispensable que les marques se soucient de leur impact environnemental et de leur responsabilité sociale. Avec la fermeture de nombreux magasins physiques et la progression de la vente en ligne en parallèle, il est important que les marques prennent position en la matière, d’autant qu’il s’agit d’une des préoccupations majeures de la génération Y lorsqu’elle soutient une marque. L’an passé, des magasins et marques de mode parmi lesquels Gucci et Kering ont signé un pacte mondial pour lutter contre la crise du climat et protéger la biodiversité et les océans. Dans sa section « Net Sustain », le magasin de luxe digital Net-a-porter permet aux consommateurs d’acheter des produits qui ont été fabriqués de manière « responsable » en tenant compte de critères comme le bien-être humain, animal et environnemental.

    Si ce n’est pas déjà fait, il est temps de vous engager sur la voie du changement. Avez-vous la possibilité de diminuer vos emballages et vos déchets ? Avez-vous la possibilité de travailler avec des sociétés de livraison qui misent sur l’électrique ? Pourriez-vous envisager de vendre des produits abîmés ou d’occasion à prix réduits sur votre site ? Pouvez-vous faire preuve de davantage de transparence par rapport à votre chaîne logistique ? Pouvez-vous donner en retour à votre communauté ? Toutes ces problématiques sont des aspects importants aux yeux des consommateurs actuels et viennent occuper une place centrale dans leurs habitudes d’achat en ligne. Si elles vous aideront à prospérer demain, elles sont surtout essentielles pour commencer à anticiper aujourd’hui.     

    Le temps du changement est-il arrivé ? 

    Pour résumer, le secteur du luxe est à un tournant de son évolution. Avant le coronavirus déjà, de nombreuses marques ressentaient l’urgence de s’adapter et de changer face à la progression du multicanal, aux consommateurs toujours plus férus de technologie et à l’engouement croissant pour le durable, reflet d’un avenir auquel elles veulent prendre part. La pandémie a contraint de nombreuses marques à accélérer leurs plans à long terme. Les plus agiles, qui avaient investi très tôt dans des solutions multicanal solides et flexibles, sont celles sur lesquelles il faut prendre exemple. Les marques concernées doivent prêter une attention particulière à chacun de leurs points de contact avec l’utilisateur, notamment par rapport aux changements actuels dans la manière dont nous travaillons et vivons. Les consommateurs passent davantage de temps à domicile et sur Internet, et il est fort à parier que certaines des habitudes prises cette année ne seront pas faciles à perdre.

    Des marques comme Hawksmoor et Brompton sont parmi les plus innovantes. Elles investissent dans des solutions digitales capables de leur donner toute la flexibilité requise et un potentiel de croissance dans cet environnement si incertain. D’autres entreprises du luxe veillent à fournir à leurs clients la même qualité de service et la même expérience que celles à laquelle ils sont habitués en boutique, en passant dès maintenant à des solutions digitales et en investissant dans ces outils. Agissez vite si vous voulez garder la confiance et la fidélité de vos clients à l’issue de la pandémie.

    Ce faisant, les entreprises doivent aussi être extrêmement attentives aux appels de plus en plus insistants qui les invitent à prendre leur responsabilité concernant les problématiques environnementales mondiales. Sans quoi elles verront leurs clients donner leur temps et leur argent ailleurs. Soyez parmi les premiers à agir et vous récolterez les fruits du « Great Reset » qui s’amorce.

    Dans le second volet de ce dossier sur le secteur du luxe, nous verrons comment les contenus et les expériences personnelles évoluent à la lumière de la pandémie. Nous nous intéresserons également aux changements entrepris par les marques pour ne pas perdre leurs clients.