L’histoire du luxe face à la Covid-19 (Partie II) : les nouvelles interactions changent la donne

« Que puis-je faire pour vous ? » Caractéristique des marques de luxe, cet accueil annonce dès l’entrée en magasin l’attention personnalisée qui attend le client. Il suggère qu’aucune demande ne sera de trop et que la satisfaction client fait partie intégrante de l’ADN de la marque.

Le traitement VIP, les appels personnels quand un article en édition limitée est en stock, l’aide individuelle de stylistes pour son shopping : les marques de luxe ont toujours eu une longueur d’avance en matière de personnalisation de l’expérience client.

Mais que se passe-t-il quand elles ne peuvent plus assurer leurs services en face à face ? Dans la seconde partie de notre série sur le luxe, nous examinons comment ce secteur a réagi aux perturbations causées par la pandémie de COVID-19 et en quoi le digital est essentiel à son avenir.

Offrir une attention et des expériences personnalisées, à la mode digitale

Des rendez-vous virtuels

Si le client n’a pas l’autorisation ou la possibilité de se rendre en magasin, quelle est la solution ? Tout simplement amener le magasin au client. Si les plateformes digitales représentaient déjà dans une certaine mesure un prolongement du magasin physique, les rendez-vous virtuels vont encore plus loin.

Durant les premiers mois de la pandémie, avec la fermeture forcée des magasins, de nombreux retailers de luxe « branchés » se sont tournés vers une technologie de prise de rendez-vous pour permettre à leurs clients de parler à des experts par le biais d’appels avec ou sans vidéo. Après avoir proposé la livraison à domicile et de ses solutions « buy now, pay later » dès le début du confinement, Brompton a lancé en mai l’opération « Live In-Store Expert ».

Grâce à ce service d’appel vidéo en direct via un navigateur, les clients avaient la possibilité d’entrer en contact avec le personnel des magasins physiques. Le succès de la marque s’est en partie construit autour de l’expérience en magasin, avec du personnel capable d’aider les clients à trouver le vélo le mieux adapté à leurs besoins.

En effet, les clients dépensant des milliers de livres sterling pour certains de ces vélos, il est essentiel pour eux de pouvoir voir leurs caractéristiques sous toutes les coutures. Avec sa nouvelle initiative, Brompton leur a donné la possibilité de parler à des experts et de visionner des démonstrations des tout derniers modèles de vélosvêtements et accessoires, ainsi que d’obtenir en direct des conseils personnalisés.

Bien que la production a d’abord chuté à cause de la fermeture de certains fournisseurs, des initiatives comme celle-ci ont fait grimper les ventes, avec un trafic web en hausse de 62 % et des ventes en ligne quintuplées.

En juin, après la fin du premier confinement au Royaume-Uni accompagné du maintien de certaines restrictions, le grand magasin Selfridges a lancé ses propres rendez-vous de personal shopping pour la mode ou la beauté, par vidéo.

Parmi les services digitaux proposés, citons les conseils en matière de cadeaux virtuels et les tutos beauté sur Instagram, tandis que le personal shopping par vidéo donne aux clients « réguliers » la possibilité de rester en contact avec la marque et de profiter de l’attention à laquelle ils sont accoutumés.

De son côté, Gucci a également créé des expériences virtuelles personnalisées, avec une visite virtuelle dans la salle d’exposition d’une simulation de magasin de luxe dans lequel le personnel présentait des articles à l’écran en direct.

Le mode de connexion à ces services varie d’une marque à l’autre. Les clients peuvent ainsi s’inscrire à des rendez-vous virtuels par le biais de différents canaux comme les réseaux sociaux, le chat, le site web, l’application ou encore par téléphone, et choisir le moment qui leur convient, en posant à l’avance leurs éventuelles questions sur les services qui les intéressent.

Ils reçoivent souvent un rappel sous forme de texto ou d’e-mail. Pendant l’appel, le personnel assiste le client comme il le ferait en magasin, avant de proposer son aide pour la commande en ligne.

Étant donné que les clients affectionnent manifestement ces interactions digitales avec les marques de luxe, et que les sociétés ont investi pour développer la technologie et les services adéquats, il faut s’attendre à ce que cette pratique persiste même après le confinement. Bien que cela n’enlève rien à l’attention personnalisée d’une expérience en face à face, bon nombre de clients apprécient de pouvoir entrer en contact depuis n’importe où et à n’importe quel moment.

Les marques de luxe doivent s’inspirer de ces idées et investir dans la technologie et la formation de leur personnel pour s’assurer de bien en tirer parti – et de ne pas rester à la traine.  

Sortir des sentiers battus : les applis, pour une expérience en mode tapis rouge

L’industrie du voyage a particulièrement été touchée depuis le début de la pandémie, l’ONU prévoyant des pertes allant jusqu’à 2,9 milliards € pour 20201. Toutefois, les acteurs du tourisme de luxe ont été parmi les plus rapides à se tourner vers le digital et à sortir des sentiers battus dans l’espoir d’avancer. Christian Clerc, président du groupe hôtelier The Four Seasons Hotels and Resorts explique avoir adopté la philosophie selon laquelle « chaque interaction avec un invité est une opportunité ».

À mesure que les interactions en face à face sont devenus plus difficiles, voire impossibles dans certains pays, le groupe a multiplié ses offres digitales et s’est assurée de mettre à disposition de ses clients un choix de solutions encore plus vaste pour améliorer leur expérience. D’abord, il a rapidement cerné la tendance croissante au télétravail et des obstacles liés aux clients souhaitant des vacances brèves.

Les invités désireux de prolonger leur séjour au-delà d’un mois se sont alors vu offrir une foule d’avantages supplémentaires, ainsi qu’un concierge désigné non seulement pour prendre soin d’eux, mais aussi pour leur assurer la plus grande sécurité possible.

L’application mobile Four Seasons et le chat permettent de réduire les interactions physiques avec le personnel. Le client peut ainsi faire et gérer ses réservations, gérer les transferts d’aéroport ou encore commander le service en chambre depuis son téléphone.

Four Seasons propose également une nouvelle expérience de jet privé pour emmener les clients à leur destination, avec à bord une équipe complète composée notamment d’un chef cuisinier et d’un médecin. Pour assurer la tranquillité d’esprit des passagers, l’avion est équipé d’un système de filtration d’air de qualité hospitalière qui renouvelle l’air de la cabine toutes les deux ou trois minutes et élimine près de 100 % des particules, bactéries et virus.

L’innovation et l’esprit d’entreprise dont a fait preuve la marque ne sont que la partie émergée de l’iceberg quand il est question d’expérience de luxe. Il est plus important que jamais de trouver d’autres solutions pour aller encore plus loin et apporter une réelle valeur ajoutée aux clients, anciens ou nouveaux.  

L’évolution du monde du luxe

Le marché du luxe est depuis longtemps associé à une idée d’héritage, de tradition et à un certain mystère qui contribue à lui donner un attrait particulier. En 2020, l’industrie s’est quelque peu popularisée pour certains de ses contenus, en se tournant vers les jeux en ligne, les produits virtuels et différentes stratégies de médias sociaux.

Avec la pandémie qui a interrompu le flux habituel de voyageurs étrangers et ralenti les dépenses, les marques de luxe ont rapidement ouvert leur marché à d’autres populations. Les confinements et fermetures de magasins dans le monde entier ont également obligé les marques à trouver de nouveaux moyens de présenter leurs produits et de se marketer.

Plusieurs acteurs avaient déjà commencé à prendre un nouveau virage. Fin 2019, Lucy Yeomans, ancienne rédactrice en chef de Harper’s Bazaar, a lancé le jeu Drest, dans lequel les joueurs incarnent des rédacteurs de mode. Ces derniers reçoivent ainsi des sélections de tenues et relèvent des défis, par exemple en composant un look sous le regard critique d’autres joueurs.

Une grande partie des vêtements est également disponible à l’achat et des marques comme Gucci, Stella McCartney et Prada ont déjà participé. De leur côté, la start-up néerlandaise Le Fabricant, l’artiste Johanna Jaskowska et la société Dapper Labs ont vendu une robe numérique pour 9 500 $ sur la blockchain en 20192 – les créateurs l’ont adaptée sur mesure pour l’acheteur, sans que l’article soit réellement tangible.

Avec l’énorme succès de l’e-sport, les différents univers digitaux commandent et génèrent leur propre richesse. L’année dernière, Gucci a lancé sa propre plateforme qui propose aux utilisateurs de concevoir des chaussures virtuelles et de les essayer via la réalité augmentée. La société estime en effet que pour évoluer, elle doit savoir s’intégrer parfaitement au digital.

Le CMO de Gucci a d’ailleurs déclaré à Fast Company3 :

« Le monde virtuel crée sa propre économie. Les univers de la mode et du jeu entrent en collision. Nous abordons le jeu dans un souci d’expérimentation, car cela nous mettra en excellente position pour anticiper les tendances. »

Louis Vuitton et Estée Lauder figurent parmi les autres grandes marques de luxe à avoir lancé des jeux pour promouvoir leurs produits et leurs nouveaux lancements. En parallèle, de nombreuses marques de mode comme Prada et Saint Laurent se sont tournés vers le streaming et la création de contenu sur des médias sociaux destinés à un public plus jeune, comme SnapChat et TikTok.

Le retailer de luxe en ligne Net-a-Porter a également commencé à interagir via WhatsApp avec ses clients EIP (Extremely Important Person) pour « personne extrêmement importante ». Ainsi, les personal shoppers communiquent avec ces clients spéciaux et leur présentent les nouveaux produits via l’application de messagerie. Tous ces exemples illustrent l’intérêt croissant d’interagir avec les clients par le biais des innombrables canaux qu’ils utilisent au quotidien.

Pour survivre, l’industrie du luxe doit s’adapter

Comme résumé dans la partie I de cette série en deux parties, le secteur du luxe se trouve à un point charnière de son évolution. Avant la COVID-19, de nombreuses marques commençaient déjà à apporter des changements majeurs à leurs stratégies commerciales pour répondre aux exigences du nombre croissant de consommateurs amateurs de technologie. Si patrimoine et tradition restent des ingrédients essentiels pour ce secteur, les acteurs reconnaissent désormais la nécessité de s’adapter aux méthodes de communication multicanal et d’adopter les « tendances » des Millennials, à savoir la commodité et la durabilité.

La pandémie de COVID-19 les a obligés à accélérer ces plans et à se pencher davantage sur les opérations digitales. Il ne suffit pas de survivre en attendant fiévreusement la fin des confinements. Pour avancer, les marques doivent étudier et investir dans les solutions digitales, accueillir à bras ouverts les innovations technologiques et adapter leurs stratégies pour se préparer à toute éventualité.

Il ne suffit plus de vendre dans des magasins en ligne et physiques : pour prospérer, les marques de luxe doivent se tourner vers les multiples autres canaux digitaux – et chercher de nouvelles façons de produire du contenu qui améliore l’expérience client sur chacun d’eux.

Des rendez-vous virtuels aux applications et chats, les marques de luxe doivent trouver comment communiquer avec le client et apporter une valeur ajoutée. Si les médias sociaux n’étaient autrefois qu’un moyen de communiquer avec les clients, ils sont rapidement devenus des auxiliaires de vente essentiels. Et ces plateformes évoluent de jour en jour.

Entre-temps, on assiste à la création de nouveaux mondes virtuels dans lesquels des produits qui n’existent pas physiquement ont de la valeur – les plateformes elles-mêmes devenant des outils marketing de taille pour atteindre des foules de nouveaux consommateurs.

Dans tous ces exemples, le digital est le maître du jeu. Les marques ne peuvent plus se contenter d’admettre son importance du bout des lèvres ; elles doivent réellement explorer chaque recoin de ce nouveau monde pour survivre, s’épanouir et prospérer – au risque, sinon, d’être rapidement laissées de côté.  

 

1 https://www.brusselstimes.com/news-contents/world/119579/e3-trillion-loss-for-global-tourist-sector-predicted-by-un/

2 https://www.instagram.com/p/BxVzibUopFM/

3 https://www.fastcompany.com/90546878/would-you-spend-10000-on-a-virtual-dress-gucci-is-betting-on-it