Les pratiques numériques en entreprise suscitent-elles leur propre saturation ?

La transformation numérique s’impose aujourd’hui à la quasi-totalité des organisations, quelles que soient leur nature ou leurs activités. Accélération et mutation des pratiques, distorsions générationnelles, contexte sanitaire… Les injonctions à se transformer sont là.

Outre la difficulté au quotidien, et si cet exercice imposé provoquait une saturation auprès des collaborateurs ? Et par là même devenait contre-productif ? La plupart des entreprises sont à la tâche pour assurer leur transformation. Et réussissent plus ou moins bien ce passage obligé. Les événements tels que la Journée Mondiale sans téléphone portable, qui s’est tenue début février, mettent en lumière des constats simples dans le monde de l’entreprise :

  • Le bien-être au travail est une priorité incontournable (place et rôle de la RSE)
  • La dématérialisation et le digital se généralisent et s’accélèrent (visio, processus, services, documentations, formations…)
  • L’impact sur l’environnement est scruté (limitation et traitement des déchets, choix énergétiques raisonnés…).

La normalité est désormais fondée sur le changement perpétuel. Le dirigeant ne doit plus parler de stratégie du « but » mais de stratégie de « trajectoire ». Il s’agit pour luide définir un chemin vers une destination qu’il ne connaît jamais vraiment… de quoi se sentir désorienté ! Pour le collaborateur, dont le parcours professionnel se rallonge, c’est une question d’équilibre que de s’adapter à l’accélération des changements pour mieux les vivre à l’avenir. Enfin, l’entreprise, soumise à la pression financière, doitrester à la fois, innovante, productive et rentable. Rien qui ne permette vraiment de rester détendu !

Quand changement + transformation = saturation

Il ne faut pas confondre changement et transformation. Le « changement » est généralement vu au prisme des projets. Souvent multiples, actifs en même temps, ils se superposent. Majoritairement initiés par la DSI, ces projets de changement sont perçus comme « obligatoires ».

Parce qu’il y a une forme d’urgence (réelle ou perçue), on leur donne une date de début et une date de fin, mais ils s’avèrent désorganisés, souffrent de « stop and go », les cibles impactées sont mal identifiées, les rituels de collaboration fêtant la fin des projets ont moins de valeur…voire disparaissent.Sans oublier que l’on peut trouver plusieurs formes de changements : les inattendus mais déjà vécus auxquels on sait réagir, et les plus chaotiques et jamais vécus face auxquels on se sent dépourvus… et c’est là où on trouve le plus de difficultés, voire de dégâts.

A l’inverse, la « transformation », elle, est transverse. Elle comprendra un ensemble de projets, sans timing précis, et s’observera sur le long terme au travers des changements de comportement, d’attitude, de mode de vie des collaborateurs. Quand le cumul de ces changements et transformations est plus lourd que la capacité « d’absorption » de l’entreprise, cela provoque la saturation, et le désengagement qui va avec.

Comment reconnaître les symptômes ?

Côté projets, ils entrent en collision les uns avec les autres, la segmentation dans le temps n’existe plus, ils s’enchaînent sans que soit vraiment pris le temps de célébrer les succès. Côté collaborateurs, les émotions prennent le dessus avec ses différentes formes d’expression : la peur de ne pas y arriver, l’acceptation résignée mais fondamentalement résistante, la perte de pouvoir ou de repères, le rejet… Émotions qui amènent avec elles leur lot légitime de stress et d’incertitudes, et qui mettent en évidence le courage dont il faut faire preuve pour aborder les changements.

Quelles solutions pour éviter saturation et désengagement ? C’est ici qu’entre en ligne de compte la conduite du changement, ou "change management". Construite dès le début de chaque projet, en parallèle du project management, c’est une composante essentielle principalement axée sur les aspects humains. Devant impérativement s’appuyer sur une méthodologie adaptée, cette démarche assure :

  • Une accélération de la vitesse d’adoption
  • Une meilleure utilisation de la « nouveauté »
  • Une équipe plus agile.

L’étude longitudinale PROSCI 2018 révèle « qu’un projet a 6 fois plus de chance d’atteindre les objectifs attendus si la conduite du changement est efficiente » et « en accélérant l’adoption par les collaborateurs, une conduite du changement efficiente garantit le respect du budget du projet et un meilleur retour sur investissement ». Et au prisme de l’année 2020, si particulière, la conduite du changement est une évidence : la crise sanitaire a accéléré la mutation et favorisé les usages digitaux. Il a fallu  apprendre, vite et bien, s’adapter plus que jamais. Certaines résistances ont totalement disparu.

Accompagnement des collaborateurs

Pour autant, les collaborateurs ont, toujours et encore, besoin d’être accompagnés. Amenés à travailler séparément les uns des autres, il est essentiel de s’appuyer sur des actions/formats permettant de favoriser les temps de partage et de co-construction favorables à la conduite du changement : communication de la direction/sponsor, recueil de besoins, évaluation de dispositifs mis en oeuvre, formations, et événements.

Tout cela avec l’esprit de bienveillance, de valorisation des compétences et de gratitude indispensable au quotidien.Quant au manager, il est désormais contraint de s’adapter aux nouvelles manières de travailler de son équipe et à oeuvrer sous le signe de l’incertitude. La communication joue ici un rôle crucial. Les messages d’un CEO ou d’un membre de la direction seront indispensables pour expliquer la raison et l’objectif du changement attendu. Ils devront être communiqués très largement. Pour ce faire, le manager peut prouver les intentions « en racontant l’histoire » :

  • Remettre en perspective la situation actuelle
  • Valoriser les succès passés
  • Présenter la situation désirée
  • Spécifier pourquoi ce changement et comment on y va
  • Démontrer les bénéfices apportés.

La gestion des résistances

Le manager devra avant toute chose prendre en compte ses propres résistances. Comment convaincre son équipe si on n’est pas convaincu soi-même ? Ensuite, il s’agit de gérer les résistances d’abord en collectif : les communications s’adressent au groupe, et les blocages se désamorcent en groupe aussi. Enfin, s’attaquer aux résistances individuelles. Autant que faire se peut, les anticiper. A défaut, les identifier lorsqu’elles sont exprimées par les collaborateurs. 

Une fois au pied d’un mur érigé pour se protéger d’un changement qui effraie, c’est bien poussés par la mise en mouvement méthodique d’une hiérarchie convaincue et bienveillante que les collaborateurs finissent par être en confiance. Ils sont alors heureux d’y travailler, de faire partie de l’aventure. Ils en sont fiers et veulent que cela se sache. Signe ultime d’une transformation sans saturation et réussie.

Publié dans Focus RH